Au fil de l'eau, au gré du vent  …

Les mots du frère 4 : le vrai-faux départ

 

Nous sommes partis un samedi dans la matinée, c’était le 6 mai 2017 à la marina de Pointe à pitre. Sur le quai, Lolotte, les enfants et un bateau copain (le Pen Kalet) Bertrand, Nolwenn et leurs deux garçons Armel et Corentin. Séance photo, câlins, embrassades, et larmes contenues pour le tableau.
Nous larguons les amarres, quelques ronds dans l’eau pour attendre notre tour au rayon carburant, puis des bras qui se secouent dans tous les sens pour se dire au revoir. C’est le départ, le vrai.


Raconté comme ça, on a l’impression que ça n’a duré que cinq minutes, mais en fait, ça a été beaucoup plus long. Beaucoup plus long.

Un temps qui vous permet de prendre conscience de l’instant. Alors une certaine tension monte, une excitation pour certains, une appréhension pour d’autres. L’inconnu. La grande aventure quoi.

Nous sortons du chenal de Pointe à pitre puis longeons Grande Terre face au vent et face à la houle. Les voiles ne sont pas encore sorties, le soleil cogne et, pour les métropolitains fraichement débarqués deux jours avant, c’est le moment de se protéger. Ballet des crèmes solaires.
Le début du périple, et déjà les premiers dangers, la mer est truffée de casiers de pêcheurs. Alors on écarquille tous les yeux pour entamer un slalom entre les bouées. Loïc adopte la position en pied de mât pour mieux observer, Simon proche de la barre prêt à intervenir. Mais la houle, le soleil et le slalom ont raison du vétéran. Jeff et les premières heures sur un bateau c’est toujours compliqué, alors offrande à la mer oblige. Cramponné au dessus de la filière, il se vide. Spectacle son et lumière garanti, jamais agréable pour la personne, pas plus pour ses équipiers. Je croise le regard du frangin, pas de mots échangés. Mais en langage des yeux, ça donne à peu près ça :

– « Oh merde. »
– « Et on est à peine parti»
– « T’es sûr que c’est pas une connerie d’avoir dit oui au père ? »
– « J’espère pas. On verra bien. Mais pour l’instant je me concentre sur les casiers. »
– « Ouais t’as raison. »

Raconté comme ça, on a l’impression que ça n’a duré que cinq minutes, mais en fait ça a été beaucoup plus long. Beaucoup plus long.

Un temps qui vous permet sous le soleil antillais de prendre un bon coup de chaud.

Après quelques heures de moteur et à l’approche de la pointe des Châteaux, avant de hisser les voiles et de prendre un cap pour le nord, je décide de terminer la préparation du repas. Il n’est pas loin de midi et nous serons bien contents de casser la croûte une fois les manoeuvres terminées. Je descends, mais à peine en cuisine, Boum. Choc violent, arrêt buffet, Simon bloque le moteur, point mort. Merde. Je passe une tête. On vient de se prendre un casier. Je scrute en direction du frangin à la barre, il ne rigole pas. Nouvel échange de regard.

– « Je me casse trente secondes et Bim. Vous l’avez pas vu ? »
– « Non. »
– « Oh les mecs, sérieux. »
– « Ok. C’est bon. No comment. Je m’en occupe. »

Simon remet les gaz, mais cette fois en marche arrière. Sur notre tribord nous découvrons un casier, trois bouteilles plastiques transparentes et un bout vert qui tombe dans les profondeurs. Pas évident à repérer celui-la. Marche avant, nous repartons.

Raconté comme ça, on a l’impression que ça n’a duré que cinq minutes, mais en fait ça a été beaucoup plus rapide. Beaucoup plus rapide.

Mais un temps qui vous permet de vous faire une bonne suée.

Alors pour détendre l’atmosphère, on se raconte des histoires de casier et la phobie de Caty.

Une fois reparti, nous approchons rapidement de la pointe, c’est le moment de sortir les voiles. Simon se présente en pied de mât pour hisser, Loïc au piano dans le cockpit pour l’assister, je prends la barre et Jeff… Beh il est où Jeff ? Parti s’allonger dans la cabine. Le père n’est pas en grande forme. On verra plus tard. Là c’est le moment de hisser. Chacun est appliqué à son poste. Tout se passe bien, opération réussie. Nous passons la pointe. Nous prenons cap pour le nord. Je coupe le moteur, puis nous déroulons le génois. Kusupa a toutes ses voiles dehors et il se met à pencher. Et comme on dit pour vivre heureux, vivons penchés. Un bon gîte. Nous prenons de la vitesse. Aucune parole, ou très peu. Chacun prend ses repères pour les prochains jours.

Apprendre à vivre avec une jambe raide et l’autre plus courte.
Apprendre à se détendre pour pisser alors que le corps est tout raide, les muscles travaillant pour trouver l’équilibre à l’arrière du bateau, et surtout prendre soin du sens du vent.
Apprendre à se déplacer, une main pour le bateau, une main pour le bonhomme.
Apprendre à accepter toute cette flotte qui claque contre le bateau et finit sur le roof.
Apprendre à s’habituer à cette odeur désagréable du carburant, les cuves sont pleines. Alors forcément ça empeste dans le bateau.

Rapidement nous nous éloignons de la Guadeloupe et de tout signe de terre. De la mer tout autour, des vagues régulières, du soleil et un bateau qui file à vive allure bien penché, vraiment bien penché. Alors se déroule une après midi Bernardo comme les aime Lolotte… Peu de paroles, peu d’échanges.

 

Simon je pense est ravi, il peut enfin pousser son bateau et voir ce qu’il a sous le pied. Il n’a ni la responsabilité des enfants, ni Lolotte pour se plaindre du vivre penché. Il veut avancer au plus vite, pour les retrouver au plus vite.

Loïc je pense s’interroge, il se demande pour combien de temps on est parti à vivre penché.

Jeff dort dans sa cabine. Mais dans son sommeil je pense qu’il s’interroge, il se demande pourquoi il a voulu en être et quand vivre penché va s’arrêter.

Moi je ne pense pas. Je me vide. Je profite. J’ai aussi hâte de voir les capacités de Kusupa.

De ce samedi après midi au dimanche soir, nous amassons des milles. Et le dimanche avant la tombée de la nuit, le ciel se chargeant et menaçant, nous décidons de prendre un ris pour la nuit. La manoeuvre s’effectue rapidement. En se mettant bout au vent, face à la houle, nous prenons conscience de la force des vagues. Nous reprenons notre route, avalons notre repas, puis Jeff qui va un peu mieux retourne se coucher.

Je descends peu de temps après lui pour chercher du chocolat. Et là je découvre une bonne quantité d’eau dans le carré. Je me dis que le père s’est déshabillé n’importe comment sans se soucier des bonnes manières et qu’il en a mis partout. Mais en regardant bien je me dis qu’il y a tout de même beaucoup d’eau. Je soulève une cale, elle en regorge. Je goûte, elle est salée, c’est bien de l’eau de mer. Je préviens le frangin et commence à écoper. Il me rejoint, inspecte une autre cale, même constat. De l’eau. Il sort la pompe, celle-ci ne veut pas travailler. Alors on écope à l’ancienne, à l’éponge. Et on a beau écoper, ça revient, ça remplit à nouveau les cales. Et là, chose rare je capitule. L’odeur du gasoil, le coup de chaud de la journée, le bateau qui gîte et file m’oblige à sortir et à renvoyer le repas du soir. Le frangin est plus cramé du ciboulot ou mieux organisé, à vous de juger, il reste à l’intérieur avec deux bassines, une pour écoper une autre pour se vider. Dantesque. Le problème c’est que l’opération écopage dure deux heures sans succès. Avec Loïc Simon inspecte les cales de la cabine avant, elles aussi sont remplies d’eau. Ils cherchent la fuite et une petite fissure dans une cale du carré les inquiètent, la décision est prise, demi-tour direction Saint Martin. Il est une heure du matin, nous sommes épuisés.

Raconté comme ça, on a l’impression que ça n’a duré que cinq minutes, mais en faite ça a été beaucoup plus long. Beaucoup plus long.

Mais malgré le temps qui passe, on ne se pose pas tout de même la question si on va couler.

Arrivé le mardi matin à Saint Martin, constat simple. Après plongée de Loïc dans la marina sous le bateau, une partie du bout du casier de pêcheur s’est pris dans la branche de l’hélice, il la retire.

Après ouverture des cales de la cabine avant, nous retirons plus de 80 litres d’eau au seau. La fissure n’est pas la fautive, mais les deux voies d’aérations de la cabine avant. Bref nous avons bien fait de rebrousser chemin et il nous reste à trouver des parades avant de reprendre le large.

Un vrai beau faux départ et une chouette histoire à raconter pour les soirées d’hiver…